Il en est du mois de mai comme des femmes, écrit Ernest Laut du Petit Journal illustré, dans le numéro du 1er mai 1921, avant d’ajouter qu’on en dit beaucoup de bien et beaucoup de mal. Les poètes l’ont célébré comme le mois des roses et de l’amour, l’époque du réveil de la nature et de sa fécondation. Mais, d’autre part, on l’a regardé souvent comme un mois dangereux et décevant.
Selon notre chroniqueur, les Anciens avaient, de ce fait, voué au mois de mai une véritable rancune. Ils l’appelaient un mois néfaste et recommandaient de ne rien entreprendre durant cette époque de l’année. Ils refusaient même de se marier en mai, et Horace a consacré cette superstition dans ses vers : « Les flammes de l’hymen qui s’allumeront pendant le mois de mai, a-t-il dit, se changeront bientôt en torches funèbres. » Ce préjugé n’avait pas encore complètement disparu au début du XXe siècle, les statistiques de l’état civil montrant que les mariages étaient infiniment plus nombreux en avril et en juin qu’en mai.
Ce mois, pourtant, ne porte plus le poids de tant de haines injustifiées. Et, de toutes les traditions qui le concernent, une seule a réellement survécu, c’est celle qui en fait la saison des métamorphoses, l’époque bénie du renouveau. En maintes régions, on célébrait avec le premier jour de mai, le véritable retour du printemps.
En Alsace, notamment, on allumait de grands feux de joie la nuit du 30 avril au 1er mai, et l’on donnait la représentation de la lutte entre deux personnages figurant l’Hiver et l’Eté. L’Hiver, tout naturellement, succombait ; et on l’enterrait comme on enterre quelquefois le Carnaval, tandis que l’Eté, couronné de roses, était porté en triomphe.
En Lorraine, c’était un jour de joie populaire consacré surtout à fêter la jeunesse et la grâce. On chantait des trimazos, sorte de poèmes de circonstance tour à tour pieux ou badins. Cestrimazos devaient leur nom à ce fait qu’ils étaient chantés par trois jeunes filles vêtues de robes blanches, qui allaient de maison en maison chanter et danser pour célébrer la fête du printemps. On leur donnait, en retour, des œufs ou de l’argent. Certains de ces trimazos ont une bien jolie saveur naïve et poétique ; mais ils sont sortis de la mémoire du peuple : on ne les trouve plus que dans les livres.
Mais le premier jour du cinquième mois de l’année ramenait jadis dans nos campagnes une coutume que l’on pratiquait à peu près dans toutes les régions : il s’agit de la plantation du mai. Le mai consistait en un petit arbre sans racine que l’on plantait d’ordinaire le premier jour de ce mois, soit devant la porte, soit sur le toit de la maison habitée par une personne à laquelle on voulait faire honneur. Les amoureux timides trouvaient là l’occasion d’exprimer leurs sentiments à celles qu’ils aimaient.
Et il advint que ces arbustes, suivant qu’ils étaient de telle ou telle essence, prirent un sens symbolique déterminé. Chacun d’eux avait sa signification : le bouleau voulait dire vertu ; le saule, coquetterie ; le sureau, mépris ; le genêt, bêtise ; la fougère, fierté ; l’aulne, abandon ; le coudrier, amour passionné. Ainsi, les jeunes gens faisaient aux filles du village aveux ou reproches ; et, devant les maisons, des rondes s’organisaient, dont chacun reprenait le refrain :
Plantons le mai
Le mai du joli mois de mai.
Et puis chantons quand on plante,
Et puis plantons quand on chante,
Le mai, le mai
Qui nous rend le cœur gai
Le mai avait un double caractère : c’était ou un hommage aux personnes de qualité, tel lemai que les clercs de la basoche allaient planter dans la cour du Palais de Justice à Paris, en l’honneur des magistrats du Parlement, ou bien une galanterie des amoureux, à l’objet de leur tendresse. De cette dernière coutume, on avait, au XIVe siècle, formé le joli verbe « émayoier », donner le mai, que l’on trouve dans une poésie de Froissart :
Pour ce vous veux, madame, émaoyier,
Au lieu d’un may, d’un joli cœur que j’ai.
Les corporations du Moyen Age fêtaient aussi le 1er mai. Celle des orfèvres de Paris, notamment, faisait, ce jour-là, un présent à l’église de Notre-Dame. Ce présent fut d’abord un arbre planté devant le portail de la cathédrale ; puis ce fut une œuvre d’art. A la fin du XVIIe siècle, c’était un tableau de sainteté qu’on appelait le « tableau de mai ». Ce tableau, dont le sujet était tiré des Actes des Apôtres, restait exposé devant le portail de l’église les premiers jours du mois, et, pendant le reste de mai, il était suspendu dans la chapelle de la Vierge.
C’était aussi le 1er mai que, jadis, les grandes eaux jouaient à Saint-Cloud. Les bons bourgeois parisiens ne manquaient jamais de se rendre à cette fête de banlieue, au moyen d’un bateau qui s’appelait la Galiote, et que des chevaux, attelés à de longues cordes, hâlaient à la façon des bélandres de nos canaux. C’était, depuis les Tuileries jusqu’à Saint-Cloud, un interminable voyage qui durait plusieurs heures.