Aujourd'hui voyons celle du mot : " ZUT "
(D’après « Parémiologie musicale de la langue française » (par Georges Kastner)
paru en 1866, « Pourquoi pas ? » du 9 novembre 1934 et « Glossaire
du centre de la France » (par Hippolyte-François Jaubert) Tome 2 paru en 1856)
Descendant, pour les uns, en droite ligne du cri anglais ut ! abondamment prononcé en France par l’occupant dans le Berry durant la guerre de Cent Ans, issue selon les autres d’une anecdote se rapportant au nom désignant la première note de la gamme musicale, l’interjection zut ! conserve aujourd’hui tout son mystère
Paru en 1808, le Dictionnaire du bas langage de Charles-Louis d’Hautel donne de zut ! la définition suivante : « Quolibet qui, d’une farce comique, est passé parmi le peuple. Se dit à quelqu’un que l’on est ennuyé d’entendre, et équivaut à va te promener, retire-toi. »
Selon Georges Kastner dans son ouvrage paru en 1866 et intitulé Parémiologie musicale de la langue française, il semble que cette façon de parler proverbiale renferme une espèce de défi porté à la personne dont la présence ou les discours importunent. Ut étant la première note de la gamme naturelle, type des gammes majeures, c’est par cette note que l’on commence en solfiant selon la méthode française, car, dans la méthode italienne, l’ut se nomme do.
Zut, j’me suis trompé de porte !... Carte humoristique publiée
vers 1945 de l’illustratrice Germaine Bouret (1907-1953)
Or nous serions redevables du mot zut à une élève du Conservatoire de Paris, originaire de Rome, qui au début du XIXe siècle avait pris l’habitude de nommer do (comme on le fit depuis) la première note de la gamme. Le professeur voulait que l’élève dît ut et non do. Un jour, il la réprimanda fortement et ajouta en faisant sonner l’s de la liaison : « Je vous prie de ne plus dire do, dites ut ». La jeune élève exaspérée, frémissante, jeta ses cahiers en criant : « Eh bien, puisque vous le voulez, zut ! »
Les gamins de Paris semblent s’être approprié cette locution, et l’expression populaire zut ! pourrait bien n’en être qu’un énergique diminutif. À moins qu’elle ne soit une transformation du mot chut, opérée sous l’influence de l’accent provençal.
Mais dans le second tome de son Glossaire du centre de la France paru en 1856, le comte Hippolyte-François Jaubert écrit, au mot Ut ! : « interj. Hors d’ici, va-t’en. Se dit à un chien et même à une personne qu’on traite avec grand mépris. C’est à tort que Roquefort rattache ce mot à l’italien : ce n’est autre chose que l’anglais out. Les deux vers suivants de Wace (Roman du Rou) ne laissent aucun doute sur l’origine de cette interjection :
La gent englesche : Ut ! s’écrie ;
Normanz escrient : Dex aïe !
« Ce mot, poursuit Jaubert, a dû se naturaliser dans notre bas Berry lors des ravages qu’y exercèrent, à tant de reprises, les vieux ennemis de la France. C’était une espèce de hourra de bataille. Les malheureux habitants des campagnes eurent bientôt saisi le sens de ce cri sauvage : la terreur le grava dans leur mémoire ; ils l’apprirent à leurs enfants, et il s’est ainsi transmis de génération en génération jusqu’à leurs derniers descendants. »
Plus loin, le comte Jaubert avance que « le z euphonique s’est joint à notre monosyllabe, et l’on dit aussi zut ! dans un sens d’ironie, de dédain, de refus : — Tu m’ennuies ; je te dis zut ! / — Veux-tu faire telle chose ? — Zut ! Au surplus, cette interjection, qui a quelque analogie avec le zeste du Dictionnaire de l’Académie et le zot du Dictionnaire de Trévoux, n’est point du tout spéciale à notre circonscription. »
D’après ces renseignements curieux, le zut !, ce mot que Lorédan Larchey compte parmi les excentricités du langage contemporain, descendrait en droite ligne du cri anglais ut ! cité par Wace dans le Roman du Rou et conservé intégralement dans le patois berrichon. Quoiqu’il répugne au sentiment national de retrouver jusque dans une intime question de linguistique le souvenir des malheurs de la patrie et des outrages de l’étranger, il faudra bien tenir compte de ce fait, s’il appartient à l’histoire.
Zut ! Voilà la nuisance de la foule polluante... Carte humoristique
des années 1950-1960 de l’illustrateur Louis Carrière
Si le seul passage de Wace et les conséquences qu’on en tire ne suffisent pas pour trancher la question, il ne serait toutefois pas impossible que l’exclamation dont Jaubert rattache l’origine à la malheureuse circonstance de la présence des Anglais sur notre territoire et à leur séjour dans le Berry, n’eût contribué à la formation de ce vulgaire quolibet ; et voici comment : ayant perdu de vue l’origine de cette exclamation et ne sachant plus à quoi la rattacher, le peuple aura cherché à lui donner un sens.
On se sera figuré alors que cet ut ! devait être l’ut des musiciens, et, pour mieux marquer le sens qu’on lui prêtait, on aura imaginé de joindre au monosyllabe équivoque les paroles interrogatives : Sais-tu la musique ? et leur réponse Eh bien, ut ! De telle sorte que cette locution aura pris un caractère tout à fait musical.
On ne peut donc rien inférer de là contre la savante et curieuse étymologie rapportée par le comte Jaubert, de même qu’on ne saurait rien inférer non plus de cette étymologie contre le caractère musical de notre zut !