La flemme du samedi
Elle est bien étrange cette flemme. Toute la semaine, on s’est demandé comment on allait
tenir jusqu’au weekend, comment mettre un pied devant l’autre, comment juste avancer
dans ce flot de pingouins parfaitement dressés et docilement habitués. Et voilà qu'une
fois libéré de toute cette pression nous sommes incapables d'en profiter, à l'instar d'un
prisonnier ne supportant pas la lumière du jour le premier jour de sa sortie de prison.
Les symptômes de cette affliction hebdomadaire sont assez hétéroclites : interrogation (« si je me lève, qu'est-ce que je vais foutre, bordel ? »), mauvaise foi (« il faut que je récupère de cette semaine harassante… »), Raisonnement absurde (« si je me lève, je vais me sentir obligé de faire pleins de trucs, or le week-end c'est fait pour en profiter non ? » – le tout étant de définir le profit à tirer de cette période dite de repos), mais le principal reste quand même la paresse (« bon j'ai vraiment envie de pisser…pfft… y’a pas une bouteille qui traîne quelque part ? »).
La paresse nous permet de nous extraire du jeu dont nous sommes tous un peu prisonniers, ce jeu qui consiste à courir toute la semaine après quelque chose dont le sens nous échappe profondément. Ce sens qui nous est sans doute apparu un jour, mais qui, depuis un temps certain, s'est fait la malle (et on le comprend, inutile de souffrir à plusieurs). Heureusement, c'est un jeu qui possède quelques passages secrets. On peut, par exemple, faire semblant de courir (que le premier qui n'a jamais dit à son chef "je suis dé-bor-dé" en fermant Facebook dans le même mouvement me jette la première souris sans fil). On peut aussi se débrancher totalement pendant quelques temps (le retour à la réalité est, cependant, rude en général, cette pratique ne peut être répétée régulièrement sous peine de burnout sévère).
On peut aussi prendre le temps. Hein ?! Quoi ?
Qu’est-ce qu’il dit le connard du blog ?
J’ai dit : prendre son temps.
Regarder les autres courir. Changer de référentiel. Regarder le monde s’écouler et accepter de ne plus faire partie du fleuve pour quelques instants. A un moment, il est probable que, comme ils courront tous dans le même sens, s'ils vous regardent, c'est vous qu'ils verront bouger, un peu comme des touristes sur un bateau mouche voient défiler celui qui sirote un verre de vin sur les quais.
Car finalement, et s’il faut trouver un but à tout – même là où il n’y en a d’autre que le simple fait de paresser pour paresser – la paresse autorise la pensée. Pas une pensée formatée, avec une thèse, une antithèse, une synthèse et des prothèses de comme-il-faut, mais une pensée libre, qui s’évade. Une pensée qui prend le temps, elle aussi, et un peu de recul. Une pensée qui vient de loin. Une pensée qui a voyagé, s’est perdue, puis s’est retrouvée là, par hasard. Le genre de pensée qui émerge avec prudence, presque timide, et qu'on ne peut pêcher qu'en étant allongé, oisif, et lorsqu’on lui laisse tout l'espace laissé vacant par nos petites lobotomies quotidiennes : « vas-y petite pensée, prend tout ce qu'il te faut, je ne m’en sers pas de toute façon ».
La paresse est, en ce sens, essentielle à notre survie spirituelle. Car cette course ne nous mène qu’à un seul endroit : une vie de clone qui n'a plus le temps de rien, plus le temps de vivre vraiment.
Tiens, je suis en train de me rendormir. Mes pensées construites m’échappent. Je plonge dans un abyme déstructuré et sans limite. M’y rejoindra-t-elle ?
Ça y est je me souviens pourquoi je suis resté au lit.
Sacrée paresse. Elle a plus d'un tour dans son sac de couchage.
Les Stat..........
1 : En 1832 un salarié travaillait 3041 h. par an. En 2000, il travaille deux fois moins (1441 h.). Source : O. Marchand, C. Thélot, Le travail en France (1800-2000), Nathan, Essais et Recherches, 1997. En 1800, le travail représentait près de 50 % de la vie éveillée et le temps libre 10 %. En 1996, le travail ne représente plus que 10 à 12 % du temps éveillé tandis que la proportion du temps libre est montée à 30 %. Source : rapport du CES (Conseil économique et social) La place du travail (juillet 2003).
2 : Le « travail décent » tel que défini par l’OIT (Organisation Internationale du Travail) présente les caractéristiques suivantes : possibilité d’exercer un travail productif et convenablement rémunéré ; sécurité au travail et protection sociale pour les familles ; amélioration des perspectives de développement personnel et d’intégration sociale ; liberté pour les êtres humains d’exprimer leurs préoccupations, de s’organiser et de participer à la prise des décisions qui influent sur leur vie ; égalité de chances et de traitement pour l’ensemble des femmes et des hommes. Plus d’infos sur http://www.ilo.org/public/french/decent.htm. Ainsi, ce n’est pas le travail qu’il faudrait « réhabiliter » mais plutôt le travail décent, au sens de l’OIT, qui est lui en perte de vitesse...
Créée en 1919 par le Traité de Versailles, l’OIT (177 États Membres) est devenue en 1946 la première institution spécialisée du système des Nations Unies. De par sa structure tripartite, elle est la seule organisation mondiale dont la politique et les programmes sont arrêtés par les représentants des employeurs et des travailleurs sur un pied d’égalité avec ceux des gouvernements.
Papy.............