Les plus belles marges de la grande distribution se font aux rayons frais
Accusées d’étrangler leurs fournisseurs, les enseignes plaident la faiblesse de leur résultat net. En réalité, tout dépend des rayons : si certains produits d’appel sont vendus à perte, d’autres sont de vraies vaches à lait…
Venus du Lot-et-Garonne, une poignée d’agriculteurs et leurs 40 tonnes de fruits et légumes ont investi la capitale le 18 août dernier. Place de la Bastille, ils ont cassé… les prix, comme chaque étédepuis onze ans. Une fois de plus, les clients se sont rués sur les poires et les tomates à 1,50 euro le kilo, deux fois moins que dans les supérettes parisiennes. Pourtant, même àce prix, les producteurs du Sud-Ouest ont bien gagné leur vie ce jour-là. Mieux, en tout cas, que le reste de l’année, lorsqu’ils négocient leurs cagettes avec les acheteurs de la grande distribution. C’est d’ailleurs pour dénoncer les juteuses marges des Carrefour, Leclerc et Super U que le syndicat agricole Modef organise cette manifestation. Pour les mêmes raisons, des opérations coups-de-poing moins pacifiques se multiplient un peu partout en France : en août, des cultivateurs du Gard ont attaqué des camions de fruits espagnols ; en mai, des éleveurs des Pays de la Loire ont bloquétout une journée l’accès à deux hyper Leclerc.
Pour ces producteurs, aucun doute, les grands méchants loups de la distribution prospèrent sur leur dos, et sur le nôtre, en appliquant de grosses marges sur les primeurs achetées une bouchée de pain. Et leur colère paraît d’autant plus justifiée qu’un récent rapport de l’Observatoire des prix et des marges agricoles semble leur donner raison. Selon ce document très officiel, le consommateur paie plus cher son lait, sa viande ou ses légumes quand les cours des matières premières s’envolent, sans que les paysans récoltent les fruits de cette hausse… ni que les étiquettes rebaissent quand les marchés agricoles se calment.
Accusées de rouler tout le monde dans la farine, les six enseignes nationales répondent par une défense bien huilée : certes, admettent-elles, leurs marges brutes s’accroissent, mais elles seraient dévorées par des factures de plus en plus lourdes – salaires, loyers, frais de transport… «Au final, notre bénéfice ne dépasse pas les 1,7%», jure ainsi Serge Papin, le président de Système U. Un chiffre dans la moyenne de ceux livrés par la Fédération du commerce et de la distribution. Alors, qui croire ? En réalité, aussi bien les paysans s’estimant volés que les hyper affichant leurs maigres résultats nets ! Car, en épluchant les comptes des magasins rayon par rayon et produit par produit, il apparaît clairement que la grande distribution fait son beurre sur certaines marchandises – dont le frais – tout en bradant les produits d’appel très demandés par les clients.