Quand la forêt de ton village part en fumée
Quand tu fête tes 31 ans que tu es journaliste et que tu habites « LANDIRAS « et que tu couvres l’événement
(J’ai trouvé ce papier tellement touchant en la circonstance, du coup j’aimerai vous faire profiter de l'original ) |
Une journée particulière pour mes 31 ans.
L'œil droit du journaliste se concentre sur la photo.
L'œil gauche du gamin du village pleure sa forêt.
Ce chemin, à gauche, je l'empruntais encore samedi dernier pour y faire mon sport. Des centaines de fois, je m'y suis promené. J'y observais ces grands arbres, à perte de vue, loin du bruit des voitures, de la pollution des villes et des soucis du quotidien. Je pense à tous ces promeneurs, ces coureurs, ces chasseurs, ces amoureux de la nature que j'ai pu y croiser. Je me remémore les footings que nous y faisions avec le club de foot durant l'avant saison. Tous les gens d'ici, comme moi, ont leur bout de forêt qui va tant leur manquer.
Pour un début de carrière, jamais je n'aurais imaginé avoir à couvrir mon premier gros évènement au sein même de la petite commune qui m'a vu grandir.
Arrivé à Landiras en 1997, à l'époque où tous ces pins brûlés étaient déjà plantés, je ne me doutais alors pas que je m'attacherais autant à ce bled paumé, à cette forêt immense, à ces chemins poussiéreux, à "ces gens-là".
Même si aucune maison n'a été touchée, pour l'heure, c'est NOTRE maison commune qui a brûlé. Il ne reste plus que l'odeur et la fumée. Sur des kilomètres et des kilomètres d'impuissance.
Il y aura un avant et un après. Comme on parle de la tempête de 99, nous parlerons de l'incendie de 2022.
Nous parlerons de cette tragédie qui a métamorphosé notre territoire rural. Nous parlerons de cet(te) enfoiré(e) qui en est la cause. Nous parlerons de ces flammes immenses, de cette fumée noire, de cette odeur immonde. Nous parlerons de ces déserts de cendres qui vont séparer nos petites communes des années durant. Nous parlerons de la tristesse qui nous a alors saisi, de l'effroi et de la colère. Nous parlerons de cet enfer écologique et de ces animaux disparus de notre quotidien.
Mais nous parlerons également du courage et du combat des pompiers venus de toute la France. Nous parlerons aussi de cette solidarité incroyable dont ont fait preuve les Landiranais et gens du coin. Nous nous souviendrons de Lénaë et Melwenn qui ont préparé des cookies pour les soldats du feu. Nous nous souviendrons de Nathan et Nicolas qui, durant des jours, ont attendu sous un soleil de plomb pour tenir un barrage de sécurité. Nous nous rappellerons de tous ces écussons qu'ils ont gentiment reçu de la part des pompiers. Nous nous souviendrons de Dominique et Fabrice qui ont multiplié les trajets, jours et nuits, pour alimenter les travailleurs du feu. Nous nous souviendrons de Brice qui a permis à de nombreux propriétaires de chevaux, moutons et autres bêtes de les mettre en sécurité chez lui. Nous nous souviendrons de Fabien et de Malik, deux commerçants du village, portant charcuterie et pizzas à la salle des fêtes. Nous nous souviendrons de tous ces gars de la DFCI (forêt), propriétaires et chasseurs qui, jours et nuits là encore, ont ouvert et montré le chemin aux professionnels du feu. Nous nous souviendrons de ces associations et entreprises qui ont tant donné. Nous nous souviendrons de ces élus qui ont fait de leur mieux. Nous nous souviendrons d'Isabelle, Jean-Luc, Valérie, Jean-Marc, Florence, Wilfried, Bruno, Michael, Alexandre, Christian, Florent, Yannick, Lucas et tant d'autres. Ils sont des centaines, monsieur et madame Tout le monde, venus d'ici et d'ailleurs, à avoir répondu présents lors de cet évènement aussi historique que tragique pour notre Sud Gironde. Nous nous souviendrons des mots de ce pompier venu de si loin : "De ma carrière, je n'ai jamais vu pareille solidarité. Je n'ai jamais connu un tel accueil". Fierté.
Voilà ce que je souhaite garder du souvenir de mon 31ème anniversaire. Cette fierté d'appartenir à un village pas comme les autres. A un territoire à part. A une terre d'accueil, d'entraide et de solidarité.
Demain, ainsi que les jours suivants, je prendrai à nouveau mon appareil photo, mon carnet et mon stylo, afin de capter le pire mais surtout le meilleur de cette tragédie.
Puis, lorsque l'œil droit aura terminé son devoir, il pourra rejoindre son voisin pour pleurer avec lui.
Belle plume et merci pour cette belle solidarité locale