La digitalisation des matériels, la démultiplication des sources pouvant donner l’heure, mobiles, ordinateurs, tablettes, participent inévitablement à cette érosion. »
La Persistance de la Mémoire, tel est le titre exact de ce beau tableau de Salvador Dali. Dans le flot de l’actualité, un communiqué étrange de la société Orange, anciennement France Télécom, publié le 3 mai 2022, a annoncé la mort programmée de l’horloge parlante. Elle s’éteindra définitivement le vendredi 1er juillet 2022 après quatre-vingt-neuf ans de bons et loyaux services. Elle est née le 14 février 1933 et s’appelait Odéon 84 00.
La première réflexion que je me suis faite était que je la croyais déjà morte et je ne savais pas que l’on pouvait encore l’appeler en 2022, au numéro 36 99, pour la somme de 1,50 euro par appel en plus du prix de l’appel. Et puis ce sentiment de culpabilité qui émerge, vous immerge l’esprit jusqu’au rouge de honte, comme une vieille grand-tante que l’on n’a plus visitée depuis des lustres et dont on aperçoit le faire-part de décès dans le journal par hasard. Oui, c’est vrai, je ne l’ai plus appelée depuis si longtemps. Je ne me suis pas préoccupée d’elle, comment elle allait.
Car la deuxième réflexion, évidemment, cette honte qui submerge, cette nostalgie prête à envahir tous les pores de la peau, c’est l’irrésistible question : quand, pour la dernière fois, ai-je appelé l’horloge parlante ? Dans mes souvenirs, je n’ai pas la date exacte, mais j’ai un lieu, et par conséquent, j’ai un ordre de grandeur de la date.
Jamais je n’ai eu pourtant besoin de l’horloge parlante mais cette deuxième réflexion m’entraîne déjà vers la troisième réflexion : c’est une honte de tuer l’horloge parlante, c’est un scandale, il faut créer un comité de défense de l’horloge parlante ! Un peu comme la Salle Pleyel pour les concerts des orchestres philharmoniques, une honte de quitter une telle salle !... mais je m’égare.
Non, je n’ai jamais eu besoin d’horloge parlante, montres, réveils, horloges, stations de radio, j’avais tout ce qu’il fallait, j’étais bien équipé pour savoir l’heure exacte. J’avais de très nombreuses sources d’heure, pour être sûr de l’heure, sans être pourtant capable d’être à l’heure, pour être au clair avec mes retards. Les carillons d’Europe 1 (comme une cloche) étaient très différents de la sonnerie plus synthétique (et rapide) de RTL, alors que France Inter, avec ses bips copiés de l’horloge parlante, semblait plus robotisée.
A l'époque , choisir une montre était un acte grave, il n’y en avait pas dans les supermarchés. Il n’y avait pas encore de smartphone. J’ai longtemps cru, dans les années 1970, que la modernisation allait venir de la montre : des montres radios, des montres télévisions, des montres caméras, des montres téléphones, etc. Et finalement, non, elle est venue des téléphones, des vieux cadrans à la numérotation même pas numérique, puis aux (mauvais) sans-fil qui marchaient quand ça voulait, et puis le téléphone mobile avant d’arriver à y mettre tout, appareil photo, caméra, magnétophone, enregistreur, ordinateur, machine à café… bref, le smartphone… et voici que certains (comme Google) reviennent à la montre, mais je ne crois pas à son intérêt, à sa pérennité commerciale, sinon en gadget technologique : une montre ne remplacera jamais un écran de smartphone.
Quand j’étais enfant, j’ai dû souvent appeler l’horloge parlante. Je voulais savoir exactement quand était quelle heure. Non, surtout, c’était un moyen de téléphoner à quelqu’un, comme un grand. Et il me semble qu’à l’époque, c’était gratuit (car jamais je n’aurais voulu plomber les factures parentales ; je pense que le prix était le prix d’un appel local).
Aujourd’hui, le groupe Orange, qui provient à l’origine de la partie télécommunication de l’antique ministère des P & T (postes et télégraphes) devenu P.T.T. (postes, télégraphes et téléphones), puis postes et télécommunications (PTT), reçoit en recettes moins de 7% de son chiffre d’affaires pour ses activités de téléphonie. Dans les années 1970, ouvrir une ligne téléphonique était très long, un signe de grand luxe et de modernité, c’est tout juste s’il ne fallait pas être pistonné (je ne vais pas dire qu’il fallait coucher car cet humour, très en vogue à l’époque, ne l’est plus du tout dans la nôtre), il fallait attendre trois semaines, voire un mois, plusieurs mois…L’horloge parlante était pourtant très en avance sur les mœurs car associer l’heure à au téléphone est sans doute ce qu’il y a de courant depuis une vingtaine d’années, puisque le smartphone sert maintenant de montre en général. L’horloge parlante n’a jamais arrêté de progresser depuis 1933. Chaque fois, elle a gagné en précision sur l’heure réelle. Depuis le 18 septembre 1991, cette heure est fournie en collaboration avec l’Observatoire de Paris avec une précision d’environ 10 millisecondes (10 millièmes de seconde), issue d’horloges atomiques pilotées par le service SYRTE (Système de référence Temps-Espace) du Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE-SYRTE), mais à condition de l’appeler sur le réseau de ligne fixe, car en mobile, la précision se perd beaucoup. Plus exactement, la précision à l’émission de l’information horaire est inférieure à 0,5 milliseconde, mais à la réception sur tout le territoire national, les mesures ont observé un retard maximal de 20 à 30 millisecondes sur les lignes analogiques fixes, beaucoup plus sur les lignes numériques ou cellulaires. Le temps légal est actuellement défini en France par le décret n°2017-292 du 6 mars 2017.
La fin de l’horloge parlante a été décidée en raison de la fin programmée de certains de ses composants que l’opérateur n’a pas souhaité remplacer en raison de la « baisse régulière et significative » du nombre d’appels au 36 99. Donc, pas d’acharnement thérapeutique pour cette belle voix de la France. Dommage. L’enterrement se fera dans l’intimité familiale. Ni fleurs ni couronnes.