Pourquoi les femmes crient-elles pendant l’amour ?
Bien des pans de la sexualité féminine échappent encore - et peut-être pour longtemps - aux scientifiques. Dans Au commencement était le sexe (Alisio), une psychiatre et un docteur en psychologie tentent de remonter aux origines (préhistoriques !) de la sexualité humaine pour comprendre et repenser nos comportements modernes, de la monogamie au mariage en passant par les raisons qui peuvent rendre si bruyant le plaisir féminin. Insuffisant, pour le psychiatre et sexologue Philippe Brenot, qui y voit pour sa part un signal précieux et utile... à la jouissance.
Christopher Ryan et Cacilda Jetha, auteurs de Au commencement était le sexe (Alisio) voient dans la “vocalisation copulatoire féminine” une énigme majeure : “Pourquoi la femelle de notre espèce prend-elle le risque d’attirer toute cette attention ?”. Dans leur ouvrage qui explore très largement monogamie, patriarcat, guerre des sexes, ils racontent notamment que le kama sutra contenait déjà des conseils en la matière, les cris étant envisagés comme une technique érotique : “Pour la majeure partie des gémissements, elle peut utiliser, selon son imagination, les cris de la colombe, du coucou, du pigeon vert, du perroquet, de l’abeille, du rossignol, de l’oie, du canard et de la perdrix.” Bienvenue au zoo.
Une théorie de « l’appel à la copulation »
Les femmes ne sont pas les seules primates femelles à faire du bruit. Selon un primatologue britannique, “les preuves s’accumulent qu’en poussant ces cris, une femelle appelle les mâles de son groupe et les incite à la couvrir à leur tour.” Soit. Les auteurs du livre valident cette théorie de “l’appel à la copulation”, source d’une compétition spermatique tournée le plus souvent vers des mâles extérieurs à leur propre troupe, “apportant ainsi du sang neuf dans le pool génétique”. L’anthropologue Meredith Small souligne que les femelles émettent des bruits que l’on n’entend dans aucun autre contexte que l’accouplement. Le chercheur Alan Dixson observe pour sa part que les cris des femelles d’espèces à la sexualité plus libre sont plus complexes que les monogames.
Les scientifiques, lit-on, se sont interrogés sur la valeur adaptative de telles manifestations sonores chez les primates malgré le risque d’exposition aux prédateurs. Ils ont imaginé que cela pouvait être un stratagème pour aider à activer le réflexe éjaculatoire du mâle. Bien entendu, cette hypothèse ne vaut pas pour les mâles humains, comme le soulignent Hamilton et Arrowood, qui ont analysé et comparé les vocalisations copulatoires de divers couples de primates et d’humains, car ceux-ci n’ont guère besoin d’aide en la matière. “Il semble plus probable, écrivent-ils dans Au commencement était le sexe, que chez les humains, elle serve à attirer les mâles vers la femelle ovulante et sexuellement réceptive, favorisant ainsi la compétition entre spermes, avec tous les avantages qui en découlent, reproductifs et sociaux.
Des vocalises qui font monter l’excitation et augmentent la jouissance
Il est peut-être temps d’en finir avec cette idée de sélection utilitariste première, estime pour sa part le psychiatre, anthropologue et sexologue Philippe Brenot, directeur des enseignements de sexologie à l’université de Paris, co-auteur de Pourquoi c‘est si compliqué l’amour ? (Pocket) et de L’incroyable histoire du sexe en bande dessinée (deux tomes, aux Arènes BD), avec l’illustratrice Laetitia Coryn : “Chez les humains, il n’y a plus de sélection, de compétition de tous les mâles envers toutes les femelles !” Il souligne le caractère toujours complexe de la rencontre humaine et amoureuse, et la tradition “silencieuse” de la sexualité : “En résumé, dans la tradition, on ne parle pas l’amour, on le fait”. Pourtant, “les vocalises pendant l’amour sont des signaux utiles notamment à la montée de l’excitation, à sa poursuite, et même, entretiennent le sentiment amoureux” juge-t-il. On pourrait, on devrait donc apprendre à s’exprimer, propose encore notre expert, par ces cris qui sont “libérateurs de l’énergie orgasmique”, aussi bien pour les femmes que pour les hommes, peu éduqués à l’expression de leurs émotions alors qu’ils reconnaissent volontiers que les bruits de leur partenaire augmentent le plaisir. Une idée que deux chercheuses en psychologie britanniques Gayle Brewer et Colin Hendrie, ont vérifiée il y a une dizaine d’années auprès de 71 femmes âgées de 18 à 48 ans : 66% disaient “vocaliser” pour accélérer la montée vers l’orgasme de leur partenaire, 87% pour améliorer sa confiance en lui ; autrement dit pour «manipuler le comportement du mâle à leur avantage», traduisent-elles. Si les femmes crient davantage, avance enfin Philippe Brenot, c’est peut-être tout simplement aussi qu’elles ont d’abord été “surprises” par une jouissance qui est longtemps restée un tabou, voire un secret.