Jody Callahan vit à Charleston, au cœur des Appalaches. C'était une adolescente qui aimait le VTT et « détestai(t) les drogues ». À 14 ans, elle s'est cassé le coccyx. Son médecin de famille lui a prescrit de l'OxyContin, un antidouleur hautement addictif. « Comment imaginer le danger ? C'était mon docteur ! » Quand son traitement s'interrompt quelques mois plus tard, la jeune fille sombre dans un état de manque qui l'entraîne vers l'héroïne. Aujourd'hui âgée de 27 ans, Jody s'injecte dix doses par jour. Son cas est loin d'être isolé : trois quarts des Américains accros à l'héroïne avaient pris auparavant des opioïdes - ces médicaments synthétiques qui reproduisent les effets de l'opium pour soulager la douleur (oxycodone, hydrocodone, fentanyl, codéïne, etc.). « Il y a un gros travail d'éducation à faire auprès des médecins. Certains n'imaginent même pas le mal qu'ils font », souligne Chad Napier, un policier qui consacre tout son temps à faire de la prévention dans les collèges, après avoir perdu deux amies victimes d'overdose.
La série télévisée « Dr House », qui met en scène un médecin accro à la Vicodin à la suite d'un anévrisme dans la cuisse, rendrait cette dépendance presque glamour. Mais la réalité est tout autre : aux États-Unis, l'overdose par drogues ou analgésiques est la cause de mortalité en plus forte progression. Chaque année, elle tue 15 personnes sur 100 000, contre 9 il y a dix ans. « Les overdoses font plus de morts que les accidents de voiture. Trois sur cinq incluent des analgésiques. Depuis 1999, le nombre d'overdoses a quadruplé », reconnaissait Barack Obama le mois dernier. « L'épidémie » fait autant de victimes que le sida à son pic, au début des années 90. Mais le profil des victimes est très éloigné des clichés : à 90% blanches, elles habitent pour la plupart les campagnes. Femmes, hommes, diplômés, lycéens ou retraités... tous ceux qui ont pris un opioïde pour soulager un mal de dos ou une arthrose sont touchées. « Elle a tué plus d'Américains que n'importe quelle guerre », fait remarquer Jim Johnson, qui dirige le programme antidrogue d'Huntington, une ville qui compte dix fois plus d'overdoses que la moyenne nationale.
Moins chère qu'un paquet de cigarettes
Un journaliste du Washington Post a eu l'idée de comparer le prix d'un sachet d'héroïne et d'un paquet de cigarettes dans différentes régions des États-Unis. Les conclusions laissent pantois. À Baltimore, l'héroïne se vend 5 dollars, soit 3 dollars de moins que des Marlboro. À New York, il faut compter entre 10 et 15 dollars, alors que les cigarettes les moins chères sont à 13 dollars. La différence tient pour partie aux taxes sur le tabac : plus de 4 dollars par paquet, auxquels s'ajoute une TVA de 40%. « Le prix de l'héroïne fluctue autant que celui du baril de pétrole. Tout dépend de la demande : le prix constaté chez nous est deux fois supérieur à celui de Detroit, ce qui en dit long sur notre niveau de demande ! » indique Jim Johnson, responsable du programme antidrogue de la ville d'Huntington, dans les appalaches
Des chiffres qui font peur 39% d'augmentation sur un an (2012-13) du nombre d'Américains qui ont succombé à une overdose d'héroïne. 50% de hausse de la production d'opium au Mexique sur un an (2013-14) pour satisfaire la demande américaine. 52% des overdoses sont provoquées par des opioïdes, par opposition à l'héroïne et aux autres drogues. 75% des drogués à l'héroïne consommaient des opioïdes prescrits par leur médecin avant de se tourner vers l'héroïne. 90% des personnes qui ont découvert l'héroïne ces dix dernières années sont blanches.
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En savoir plus sur l'enquête Source http://www.lesechos.fr/
©LA Times via Getty Images