La graisse, jetez-là à la poubelle, pas dans l'évier !
À Londres, l'équivalent de deux piscines olympiques de graisse de dinde sont déversées dans les égouts pendant les fêtes
L’équipe d’égoutiers chargée de décongestionner les canalisations de la capitale britannique va avoir du pain sur la planche en cette fin d’année. Tous les ans, entre Noël et le jour de l’An, en raison de la négligence de la population qui jette des restes graisseux dans l’évier plutôt que dans la poubelle, l’équivalent de deux piscines olympiques de graisse de dinde est déversé dans les égouts londoniens. Une substance qui, une fois refroidie, va se figer et se mêler aux autres déchets ayant atterri dans les conduits, pour former au final d’énormes blocs solides, appelés « fatbergs » outre-Manche.
Si les quantités de gras rejetées dans les égouts sont plus importantes pendant les fêtes de fin d’année, les canalisations de Londres souffrent quotidiennement de congestions liées à cette graisse coagulée. Chaque année, 80 000 obstructions sont recensées et les coûts de traitement de ces amas de gras atteignent 15 millions d’euros. En 2013, les égoutiers étaient tombés sur un gigantesque « fatberg », le plus gros ayant été découvert jusqu’ici : il pesait 15 tonnes.
CAUCHEMARDESQUE.
Armés de pelles, les égoutiers de Londres plongent chaque jour dans les entrailles de la mégalopole pour briser les "fatbergs", d'énormes blocs de graisse putrides qui menacent de congestionner les sombres couloirs de cette ville sous la ville. "C'est de pire en pire. Ca touche certains égouts qui n'étaient pas concernés avant", a confié à l'AFP Vince Minney. Il évolue alors au milieu d'un magma d'immondices lui arrivant jusqu'à la taille avec son équipe d'égoutiers de Thames Water, l'organisme gestionnaire des eaux de la capitale britannique.
La tâche est titanesque : ces caillots de gras provoquent 80.000 obstructions par an dont le traitement coûte 12 millions de livres (15 millions d'euros). Les fêtes de fin d'année ne font que l'amplifier. Entre Noëlet le Nouvel an est déversé dans les égouts l'équivalent de deux piscines olympiques de graisse de dinde... Les égouts de Londres, ce sont des kilomètres et des kilomètres de couloirs habillés de briques hérités de l'époque victorienne (19e siècle), de canalisations, de conduits, parcourus par une fange faite d'excréments et de matières grasses en état de décomposition. Une vision, une odeur, cauchemardesques, sauf pour les innombrables vers et mouches qui y festoient.
C'est le truc le plus dégueulasse qui soit
Équipés de combinaisons blanches et de bottes en caoutchouc, Vince Minney et ses collègues progressent au milieu des déchets, à seulement sept mètres sous le niveau de la rue. Au-dessus de leurs têtes, un monde aux antipodes : le grand air, des boutiques et hôtels de luxe d'un quartier cossu du centre. Vince, 54 ans, travaille depuis 24 ans dans les intestins de la ville, autant d'années pendant lesquelles les "fatberg" n'ont cessé de s'étendre. Le problème, explique-t-il, c'est cette épaisse "couverture" de graisse qui forme comme une banquise au-dessus des eaux usagées.
Un technicien racle la banquise de graisse dans les égouts de Londres. Crédit : AFP
MAGMA.
Figée par le froid, la graisse se mélange avec les déchets, couches, serviettes hygiéniques, emballages, canettes, et s'agglomère en blocs solides dont le plus gros, un monstre de 15 tonnes découvert en 2013, avait la taille d'un bus. Ces "fatbergs", "c'est le truc le plus dégueulasse qui soit. La diarrhée à côté, c'est de la rigolade", lâche Vince en tapant sur l'épaisse couche de gras sur laquelle s'est développée une moisissure aux airs de vomi séché. En brisant cet amas graisseux, les égoutiers libèrent un dégagement d'hydrogène sulfuré, un gaz toxique à l'odeur d'oeuf pourri. "On dirait un croisement entre l'odeur du fromage coulant et de la pourriture", commente Tim Henderson, un égoutier de 39 ans.
Si ça ne suffisait pas, l'équipe doit aussi composer avec les innombrables objets dangereux négligemment jetés dans les toilettes, comme des seringues ou des préservatifs, qui, râle Tim, "peuvent vous exploser à la gueule". Il y a aussi "les mouches que vous avalez. Faut les recracher, aussi sec", souligne Vince. Bref, ce métier requiert au moins deux qualités: un solide sens de l'humour, et un dévouement total. Mais la profession, aussi ingrate soit-elle, a ses avantages.