Pruneaux d'agents ...
Il est fini le temps du courrier que l'on guette, le temps des lettres enflammées, d'amour ou d'amitié, de luttes ou de complicité ; il m'arrive d'oublier d'ouvrir ma boîte.
Ce matin, observant le ciel pour savoir si le soleil aller être de la partie pour toute la journée , arriva le facteur, sans casquette ni uniforme, jeune mec sympa qui dit bonjour , me glissa deux enveloppes en mains. Un relevé bancaire et une autre du même gabarit ; voyant que je cherchais à identifier la seconde enveloppe , en principe s'égosilla t'il ce genre de courrier contient des prunes du Calvados !il arrive tout droit de rennes ! ! j'ai pris le temps de finir mon café, de vider ma machine avant de chausser mes lorgnons, savoir si je pouvais finir le mois en mangeant. il est vrai que je viens juste de changer mes verres donc du cout le petit rectangle gris et blanc en haut à gauche soudain se révèle : République Française, et en tout petit : Liberté* Égalité* Fraternité.Ah bon !.....que ce passe t'il ?
Une envie de ne pas lire qui renifle les emmerdes ; un papier orange, Notice de paiement, un papier vert, Avis de Contravention, et un bleu, Formulaire de requête en exonération. Je sais tout sur les moyens de paiement, puis en tout petit : date limite de paiement minoré : le 9 août !
Sur le vert, peu ordonnée dans ma lecture il est vrai, j'apprends que l'appareil de contrôle a été vérifié le 15 mars 2013 !
Dans une case à gauche, noyée, au milieu d'autres infos sur les lois de la route je lis que mon véhicule a été contrôlé à 123km/h alors que la vitesse autorisée était de 110 ! Incroyable ! J'arrive rarement à 100, et encore faut-il que j'aie le vent dans le dos et que je roule en descente. J'avance prudemment dans ma lecture et je m'aperçois que le 5 juillet je me suis fait gaulée sur l' A13, direction Caen vers Paris, à Guerville ! 45 euros si je paye tout de suite et un point de moins sur mon permis trois volets !
De ma vie je n'ai jamais traîné là-haut, on ne m'a pas volé ma voiture. « Je n'ai rien perdu dans ce pays » comme on dit chez moi !
Je suis embarrassée.
Une vieille blessure ravive sa cicatrice, et me voilà prête à pleurer sur mon triste sort de malchanceuse.
C'était il y a trois ans et je partais, pas gaiement, mais sans tristesse non plus, enfin comme on va faire les courses et j'aperçus l'orange du coin de l'œil en passant le carrefour ; cinquante mètres plus loin , il y avait les flics, ces beaux gars bronzés sous leur tenue de motards ! Rien à foutre ! Je roulais à cinq à l'heure et me penchai un peu en avant pour regarder la vitrine d'une copine à qui j'avais prêté quelques objets pour sa déco, j'ai bien dû faire quinze mètres comme ça. Un des flics était au milieu de la route, je passai devant, à trente centimètres, et l'autre, un peu plus loin me fit signe de me garer ! Allons bon ; je n'ai pas appuyé sur le champignon pour le fuir, je me suis docilement arrêtée. J'ai coupé le moteur et attendu bien dix secondes avant d'entendre : « C'est pas beau madame de mettre sa ceinture quand on voit les gendarmes ».
J'ai senti comme un affaissement, dépourvu humour, sur mon siège ; on sait ce qu'il en est de ces gens-là : ils sont assermentés. Waouh.
Je l'aurais bouffé, je me suis retenue, mais la colère sortait des oreilles et du nez comme la vapeur chez le taureau furieux. J'ai refusé de signer son con de papier ; il faut dire qu'on ne se fait pas prendre deux fois à la soumission volontaire.
J'ai écrit une lettre, deux lettres ; et j'ai payé. C'est Confucius qui m'a conseillée.
Ainsi donc, j'étais repartie dans ce cirque ? Me revenait en mémoire l'histoire d'un pauvre type qui vivait pas comme les autres et qui avait été accusé d'assassinat ; il est resté longtemps en taule, a failli y crever, avant d'être innocenté.
Mais pour une ceinture, faut pas rêver, personne ne se bougera le cul pour moi.
Pour une prune, même au calva, pas plus.
C'était en septembre ; cette année avait bien commencé, début février, avec un pruneau d'agent ; ce coup là, je traversais la route pour aller me garer un peu plus loin avec ma grosse bétaillère, mon vieil ordi en panne, installé de manière très instable sur le siège du passager ; c'était un samedi, il était six heures du soir et des copains, au moment où j'allais partir vers quatre heures de l'après-midi, s'étaient attablés dans ma cuisine, me bassinant pendant deux plombes avec leur réussite. Je bouillais mais n'en montrais rien, on ne casse pas ainsi la gentillesse de ceux qui l'ont de venir vous dire bonjour.
Il y avait deux flics au carrefour qui avaient dû s'ennuyer ferme, peut-être pendant le même temps ; ils m'arrêtent, je me gare, je mets un bon moment à trouver mes papiers ; ils tournent autour du véhicule, ne voient rien de spécial, auscultent les papelards et découvrent la faille : j'avais un retard pour mon contrôle ! D'habitude je reçois un papier leur ai-je dis d'un ton naturel, sûre que cela était sans répartie ; mon retard aurait pu se compter en heures : trois jours ! Rien à faire, il leur fallait au moins une valse ce jour-là. C'était le temps, non révolu me semble-t-il, où il fallait « faire du chiffre » !
C'est curieux, quand on se fait chopper, c'est jamais en sortant du bureau de tabac où l'on vient d'apprendre qu'on s'est gagné le gros lot au loto, ni quand on court, guillerette, au rendez-vous avec un mec rencontré au bal du samedi d'avant, sûre d'avoir mis la main sur son homme du mois ! Non, c'est quand il y a déjà plein de galères dans votre vie.
En rentrant chez moi après avoir, dans un fol espoir, acheté une nouvelle souris, je consultai l'avis. 90 euros tout de même, mais pas de point en moins ; j'aurais préféré l'inverse mais on ne m'avait pas donné le choix ; toute à ma colère abattue, je lisais tout, même les très petites lignes, et là, j'ai vu qu'on pouvait envoyer un chèque plutôt qu'acheter un timbre.
Cette découverte me donna une idée.
J'ai pris un beau papier blanc, ma plus belle plume et d'une belle écriture cependant lisible, j'expliquai qu'à mon humble avis, les montants devaient être calculés en fonction d'un salaire médian et comme je ne touchais que le quart de celui-ci, comme à crime égal punition égale... alors... c'est ce que je fis, je signai un chèque de vint deux euros et cinquante centimes, en spécifiant que ceci était un acte de désobéissance civique, revendiqué et assumé.
Cela m'a mise en joie. À ce jour, je n'en ai pas encore eu de nouvelle... mais il paraît qu'il faut cinq ans avant que l'affaire soit classée !
Cela n'empêchait pas de devoir passer le contrôle, une heure d'attente, tout va très bien, ça fera cinquante euros ! On se demande quel imbécile n'entretient pas sa voiture ; s'il ne le fait pas c'est qu'il n'a vraiment plus les moyens, alors, on le fait aller à pied, c'est pour l'égalité, la fraternité du stop, ce n'est pas service compris.
Donc, les lorgnons au bout du nez, m'interrogeant sur la marche à suivre et bien que peu encline à faire confiance à la police, je me suis résolue à aller à la gendarmerie demander conseil.
Les gendarmes sont bien gardés ; on n'entre pas là comme dans un moulin, bien que pour ma part je ne sois jamais rentré dans un moulin. Soudain, le grand portail s'est ouvert sur trois types qui sortaient ; j'ai profité de l'occasion. Mais au bout de cinq minutes d'attente dans le hall, j'ai compris qu'il aurait mieux valu m'annoncer ! Je suis ressortie par le même portail, et m'arrêtant devant la porte « piétons », j'ai sonné.
Une voix m'a répondu « je vous ouvre » ; j'attendrais encore s'il ne s'était pas manifesté ; j'attendais un « clic », un « clac », un indice. Rien. La porte se déverrouille en silence.
J'annonçai ma petite affaire, m'attendant à des requêtes immédiates, des preuves, des accusations ! Que nenni : « Vous allez faire un dépôt de plainte » me dit le jeune flic qui avait une bouille sympa ; « mon collègue s'en chargera ».
Rendue dans leur bureau, je me suis assise et j'ai attendu ; il leur a fallu trouver le modèle à suivre ; puis j'égrenais, au fur et à mesure de la demande les papiers idoines.
Il faisait chaud sans plus, la fenêtre ouverte, apportait un léger courant d'air ; pas de clim.
Le décor était d'une telle banalité que mes yeux n'y cherchaient rien. Ils avaient tort. À un moment, le gentil flic du début qui fumait son clop discrètement, a fait un geste que j'ai suivi du regard : avec sa main droite , il a sorti de nulle part sur sa gauche, une petite languette jaune, et l'a portée à un être que je n'avais pas remarqué jusqu'ici : un oisillon ; celui-ci a becqueté la nourriture, et a chié dans le foulée sur le papier sur le support duquel il était agrippé.
Quelle merveille ; un petit chardonneret me dit-il, extirpé de la gueule d'un chat « ça fait cinq jours qu'il est là, ça a l'air d'aller ! ».
On a parlé oiseau, pendant que le collègue tapait ses lignes ; « profession ? » « Aucune pour le moment » !
On a déconné deux minutes sur l'emploi des seniors !
Interruption communication ; je n'entendais que les réponses, ou les interrogations : « Vous voulez porter plainte pour le vol du niveau ? » ; rendez-vous pris l'après-midi « pas avant quinze heures ».
En raccrochant, un discret « je craque », audible pourtant.
Pendant ce temps l'homme à l'oisillon m'expliquait qu'il pouvait s'agir de l'automate qui, clichant une plaque étrangère, avec son intelligence d'automate, s'est rapproché doucement de moi ! Mais il se peut, dit-il, que des gens falsifient leurs plaques, au plus proche des leurs - s'ils sont pris, ils jouent la surprise et ne risquent vraiment pas grand-chose -, alors, dans ce cas, j'aurai intérêt à demander mon changement de numéro.
« Vous comprenez » dit-il, « sur le périphe à Paris, c'est tous les cent mètres qu'ils vont foutre des radars ; les gens craignent pour leurs points ! Sans permis, on ne peut plus aller bosser !! »
Dernières retouches au dépôt de plainte, signature ; j'ai remballé mes paperasses dans mon enveloppe et j'ai dit : « Ça vous a occupés ! »
Le petit maigre basané qui s'était coltiné le boulot me dit en souriant : « oui ! Sinon, pendant ce temps, on se serait fait chier ! »
Voilà bien les flics comme je peux les aimer, nourrissant un oisillon, levant les yeux au ciel devant, comment, l'inénarrable mesquinerie des gens, voyant les choses comme elles sont !
« Fais lui une copie du dépôt de plainte » demanda l'homme à l'oiseau au second « comme ça, si ça se reproduit, vous n'aurez pas besoin de revenir ; en revanche, là, vous aurez intérêt à changer vos plaques !! ».
Ah ! Au fait, votre permis trois volets détachés, il n'est plus valide !
Et ça me coûtera cher ?
Non, c'est gratuit :
Et il faudra que j'aille à la Préfecture ?
Non, à la mairie, ça suffit.
Dommage, sur mon permis, la photo de mes vingt ans : c'est plus plaisant quand même, non ?
Rires.
Au revoir et merci.