De Mars à octobre, La balade du " Dimanche "
S'il est quelque chose qui me hante, c'est bien la brocante. Qu'on la désigne d'un autre vocable, qu'importe, l'essentiel est d'y vider ton mon gourbi, mon barda, mes encombrants afin que d'autres, à leur tour, ne sachent plus où mettre tout ce bazar. C'est le grand principe des vases communicants à la nuance près qu'il est préférable que le dus-dit vase soit fêlée ou bien bringue-ballant.
Faire le pied de grue pour trois euros six sous devant un étal fait de bric et de broc pour tenter le chaland qui baguenaude sans idée derrière la tête. L'autre espère sans nul doute le coup de foudre ou entend satisfaire un besoin pressant, un manque cruel ou saisir une opportunité unique. C'est la rencontre improbable de l'offre et la demande sans que les tarifs en vigueur ne tiennent compte de la loi du marché.
Est-ce pour autant un marché de dupes ? Je ne me prononcerai pas sur ce sujet, chacun ayant en la matière des critères qui peuvent s'avérer diamétralement différents, voire carrément antagonistes. L'argent n'est ici qu'une monnaie de singe pour continuer à faire la grimace après avoir ferré le client, il convient ensuite de s'entendre sur un prix.
À ce nouveau jeu, il n'est pire sourd que celui qui va payer sans jamais être content du prix. C'est une donnée essentielle dans ce qui relève plus de la distraction que du cours d'économie. Discuter, marchander, négocier, feindre la rupture, revenir à la charge, jouer la lassitude, implorer ou repousser l'offre font partie de ce qui est pour beaucoup un passe-temps tout autant qu'un véritablement loisir.
Le contrat est exclusivement tacite. Même le crachat par terre ne figure pas au programme et ceci bien avant la crise sanitaire. Quant aux gestes ancestraux des maquignons, ils ne sont plus de mise dans nos brocantes aseptisées. On ne se tape pas plus dans la main qu'on ne flatte la croupe de l'objet de la transaction. Autre temps, autre mœurs, ce qui jadis, finissait son existence à la décharge, retrouve une seconde vie un dimanche ou un jour férié. Une sorte de miracle de la résurrection.
Le jour du seigneur a cédé la place à la cérémonie des vendeurs. Chacun dispose pour l'occasion de son propre rituel et d'une liturgie toute personnelle. Il y a bien au tout début de l'office, la visite des prélats, professionnels de la chose, qui cherchent la pièce unique, égarée là par mégarde et vendue par un propriétaire qui n'en connait nullement la valeur.
En bon ecclésiastique de l'Antique, le fouineur averti n'en dira rien. Il paiera le modeste prix demandé, essayant même, pour étouffer toute alarme, de le marchander un peu avant que de faire la culbute bien plus tard et à l'abri des regards. C'est le travers de la cérémonie, l'inconvénient majeur qu'il est préférable de ne pas connaître au risque d'en éprouver des regrets éternels.
Les bonnes affaires ayant eu lieu tôt le matin, le reste de la journée sera une longue attente où ceux qui se promènent pour tuer le temps examinent bien plus l'allure des vendeurs que l'étal qui se dresse devant eux. Une forme de défilé de mode inversé où ceux qui sont ainsi épiés, jaugés, jugés, moqués parfois, sont ceux qui sont assis.
Puis vient l'heure de boucler la soirée, de plier bagage et de remettre tout le capharnaüm à sa place. Le bilan de l'opération ne relève pas de l'opération bancaire. Il est plus question d'évaluer les mètres cubes gagnés que le trésor amassé. Souvent du reste, le bilan s'avère négatif car un achat de circonstance est venu réduire à néant le gain de place. Il n'est plus qu'à recommencer le dimanche suivant !