Dangereux pour la santé, le compteur Linky ?
On fait le point............

Plus d'1,9 million de compteurs Linky doivent être installés en Aquitaine dans les six prochaines années
Entre "pro" et "anti", le débat est vif autour du petit compteur jaune d'EDF. Un laboratoire indépendant et reconnu sur les rayonnements électromagnétiques affirme qu'il n'y a plus de "données fiables" et réclame un moratoire Sur le compteur Linky, on entend tout et son contraire. Ses détracteurs le soupçonnent d'être dangereux pour la santé et de générer une "pollution électromagnétique". Ses défenseurs, au premier rang desquels son exploitant, ERDF, assurent qu'il est "l'un des appareils électriques qui émettent le moins de champ électromagnétique dans la maison". Où se situe la vérité ? Pour le moment, nul ne le sait avec certitude.Testé depuis cinq ans, en cours d'installation depuis décembre dernier en Aquitaine, le compteur Linky est une technologie d'une nouvelle génération. Chaque jour, il communique la consommation réelle du client qui en dispose. Plus besoin d'effectuer un relevé, plus besoin d'intervention sur place d'un technicien, plus de rattrapage de facture parfois douloureux.
D'ici 2021, 35 millions de foyers français en seront équipés. En Aquitaine, 16 700 compteurs avaient déjà été installés fin mars et plus d'1,9 million le seront dans les six ans à venir.
"Nous avons déjà effectué des mesures sur Linky mais c'était en 2008, sur la génération G1 alors qu'on en est maintenant à la G3, voire peut-être plus car on n'en sait rien" Pierre Le Ruz, expert en nuisances électromagnétiques
Une "pollution électromagnétique" et des "risques sanitaires"
Ce qui interroge chez Linky, c'est la technologie utilisée pour transmettre les relevés de consommation au quotidien. Cette technologie est le courant porteur en ligne (CPL).
Celui-ci, de "moins d'un volt" selon ERDF, est injecté dans le circuit électrique domestique pour transmettre les informations du foyer à un concentrateur. Ce concentrateur récupère, à l'échelle d'un pâté de maisons par exemple, les données de plusieurs compteurs. Lui-même transmet ensuite l'ensemble des éléments au système central d'ERDF.
Selon les Robins des toits, une association œuvrant pour 'la sécurité sanitaire avec les technologies sans fil', les fils électriques par lesquels transite le CPL "ne sont pas prévus pour ça", ce qui entraîne donc "un risque sanitaire".
"Ils ne sont pas blindés donc il va y avoir un rayonnement, affirme Etienne Cendrier, l'un des responsables de l'association. Comme on dit, cela va 'baver du CPL' autour de tous les fils électriques. Par ailleurs, tout ce qui est branché sur le secteur, l'électroménager, les lampes, les ordinateurs, etc., va se mettre à faire antenne. Donc on va augmenter encore un peu la pollution électromagnétique. De plus, ce CPL utilise une fréquence qui est un 'possible cancérogène' selon l'OMS", avance l'opposant.
Autre grief, cette transmission des compteurs vers les concentrateurs est censée se dérouler entre minuit et 6 heures et durer "quelques secondes, en tout cas moins d'une minute", selon ERDF. "Ils ont menti, assène Etienne Cendrier. Ça peut être de façon non-coordonnée. Comme il va y avoir pas mal de Linky les uns à côté des autres, il peut y avoir une exposition permanente".
En France, "63 communes, qui sont propriétaires des compteurs, refusent aujourd'hui d'installer Linky", assurent les Robins des toits. En décembre dernier, la commune de Varennes-sur-Seine (77) a ainsi voté une délibération "refusant le déploiement des compteurs Linky". À Pau, un collectif de citoyens inquiets de l'arrivée du décrié compteur vient tout juste de voir le jour.
800 fois moins dangereux qu'un sèche-cheveux
Pour ERDF, ces craintes et cette polémique sont infondés. Thierry Gibert, directeur régional d'ERDF nord-Aquitaine, assure que "Linky fonctionne exactement comme les compteurs qui sont déjà en place dans les foyers depuis des dizaines d'années. C'estl'un des appareils électriques qui émettent le moins de champ électromagnétique dans la maison par rapport aux autres".
"A titre de comparaison, selon une étude de l'agence nationale des fréquences (ANFR), Linky, y compris lorsqu'il transmet en CPL (courant porteur en ligne), émet 150 fois moins de champ électromagnétique qu'une lampe basse consommation, et 800 fois moins qu'un sèche-cheveux !" Concernant le CPL, considéré comme "l'une des technologies les plus sûres", le responsable affirme qu'il s'agit "d'un champ électromagnétique insignifiant". "Cette technologie est utilisée depuis plus de 50 ans par ERDF pour envoyer aux 11 millions de Français qui l'utilisent le signal permettant de passer des heures pleines aux heures creuses".
La transmission du compteur au concentrateur, elle, "est réalisée par un simple appel téléphonique, comme un téléphone portable, en utilisant les réseaux des quatre opérateurs de téléphonie mobile", précise Thierry Gibert. "C'est l'équivalent d'une dizaine de minutes de conversation.
Enfin, ERDF ne nie par le risque cancérogène possible mais en relativise la portée : "Les émissions électromagnétiques sont classées 2B par l'OMS, ce qui signifie qu'elles pourraient être cancérogènes mais que personne ne peut le prouver aujourd'hui. Dans la même catégorie, on trouve le café ou certains cornichons… Il faut quand même savoir qu'à une distance de 50 cm du compteur Linky, le champ électromagnétique est si faible qu'il n'est même pas mesurable".
Selon Thierry Gibert, le débat sur la dangerosité présumée de Linky est donc clos : "Tous les éléments que l'on communique sont des éléments factuels, mesurables et déjà anciens", certifie-t-il.
Le Criirem publie une lettre ouverte
Les inquiétudes des uns, les propos rassurants des autres, les scientifiques du Criiremles observent avec circonspection et une pointe d'agacement. Installé au Mans, le Centre de recherche et d'information indépendant sur les rayonnements électromagnétiques (Criirem) est, comme son nom l'indique, un laboratoire indépendant.
En s'appuyant sur le code des postes et des télécommunications électroniques, il mesure le rayonnement d'appareils émettant des ondes électromagnétiques et en évalue l'impact sur la santé, sur la sécurité et sur la compatibilité avec les autres objets électriques.Lettre ouverte
Régulièrement cité dans des articles de presse comme l'un des organismes ayant, en substance, validé la non-dangerosité de Linky, le Criirem a publié, le 25 février dernier, une lettre ouverte. Dans celle-ci, les responsables demandent la mise en place d'un "protocole" et d'une "campagne de mesures" afin de "faire toute la lumière scientifique" sur les informations "contradictoires, non vérifiées, voire erronées" qui circulent concernant le compteur communicant d'EDF.
"On ne sait rien"
Pierre Le Ruz, expert en nuisances électromagnétiques et en radioprotection, président du Criirem, confirme que son laboratoire a bien étudié le compteur Linky. Mais ses conclusions datent un peu...
"Nous avons déjà effectué des mesures sur Linky mais c'était en 2008, sur la génération G1 alors qu'on en est maintenant à la G3, voire peut-être plus car on n'en sait rien, il y a peu d'info d'ERDF là-dessus, déclare-t-il. En 2008, sur le CPL et les concentrateurs, on avait trouvé des valeurs qui étaient relativement faibles. Si le compteur était à deux mètres des habitations et si le concentrateur était placé en hauteur à plus de 5 mètres des habitations, il n'y avait aucun souci particulier".
L'ennui, selon le scientifique, est qu'aucune étude récente n'a été réalisée sur la dernière version de Linky. Il n'y a donc aucun moyen de savoir si le compteur présente un quelconque danger et, a contrario, aucun moyen d'affirmer qu'il est parfaitement sûr.
"On n'a pas de données fiables, on ne sait rien, peste-t-il. On entend tellement de choses aberrantes… Même ERDF en rajoute. Ils disent qu'ils ont fait des mesures et qu'ils ont trouvé 0,001 volts par mètre sur le CPL, ce qui est ridicule car aucun appareil ne mesure ça. De plus, ils disent qu'il n'y a pas, sur le courant porteur en ligne (CPL), d'information qui circule du compteur vers la maison, ce qui nous paraît complètement aberrant".
Plusieurs points à vérifier
Dans sa lettre ouverte, le Criirem demande l'organisation d'une réunion entre l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail), ERDF, les fabricants de Linky et des associations afin de lancer une véritable campagne de mesures.
Plusieurs points doivent être étudiés, selon Pierre Le Ruz : "Il faut vérifier quelles sont les fréquences qui circulent sur le courant porteur en ligne (CPL) et les fréquences de répétition pour savoir quelle est l'ampleur du signal. Le compteur émet du 50 hertz et ce 50 hertz va émettre des champs électriques et ce qu'on appelle des champs d'induction magnétique. Il y a des valeurs qu'il ne faut pas dépasser. Quand ce sera fait en contradictoire, personne ne pourra plus protester".
"Puis vérifier une chose qu'affirme ERDF, mais nous sommes assez sceptiques : c'est qu'il n'y a pas de signal qui circule du compteur vers la maison. Enfin, au niveau du concentrateur, qui émet du 900 mégahertz, il faut vérifier les fréquences de répétition et voir quelles sont les mesures de prévention à prendre".
ERDF aurait donné son accord
Selon l'expert, cette campagne de mesure permettra d'"arrêter de dire n'importe quoi sur ce compteur". "Quand ERDF évoque des valeurs pour ce compteur, qui ne sont pas des valeurs d'ailleurs, il perd de la crédibilité", grogne-t-il.
"Quand on leur dit qu'il y a une gestion des risques obligatoire car le CPL est un champ cancérogène 2 B possible, ils répondent que c'est pareil que le café et les cornichons. Mais c'est faux !Les ondes électromagnétiques et le café ne sont pas dans la même classification. Dans les cancérogènes possibles, le café est dans la classification mélange, le CPL dans celle des des agents chimiques ou physiques. Cela n'a rien à voir et en tant que scientifique, on n'a pas le droit de comparer ces deux classifications".
Pour Pierre Le Ruz, Linky n'est sans doute pas dangereux, à condition de prendre certaines "précautions pas difficiles à mettre en place". "Pour éviter qu'on discute dans le vide, on a proposé un moratoire afin qu'on mette au point un protocole de mesures. Tout le monde en sortira grandi. Une fois qu'on aura tous les éléments, toutes les mesures, on pourra demander à la commission de sécurité des consommateurs un avis et l'affaire sera close".Suite à la lettre ouverte du Criirem, Michèle Rivasi et Laurence Abeille, eurodéputée et députée écologistes, ont obtenu une entrevue avec les responsables d'ERDF. Selon Michèle Rivasi, un accord a été trouvé pour "élaborer un protocole de mesures avec les parties prenantes, organiser une campagne de mesures avec les différents laboratoires et publier les résultats obtenus".