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Bienfaits du rire pour la santé et la longévité (D’après « Le Mois littéraire et pittoresque », paru en 1907) En 1907, l’académicien Émile Faguet s’interroge sur les recommandations d’un journal médical nous donnant une panacée ; non pas tout à fait une panacée, mais un régime hygiénique universel, ce qui, précisément, et tout compte fait, pourrait s’appeler une panacée préalable, puisque l’hygiène est de la médecine préventive... Cette panacée donc, puisque panacée il y a, c’est le rire. Il faut rire, il faut rire de tout son cœur. Il faut rire, comme il faut se tenir propre ; comme il faut se tenir les pieds chauds, le ventre libre et la tête froide ; comme il faut s’abstenir d’alcool, de tabac et de la lecture de romans nouveaux, ou tout au moins éviter en ces trois choses même le commencement de l’excès. Il faut rire par devoir envers soi-même et envers ses enfants et pour leur conserver un père, avance Faguet. Il paraît, d’après ce journal savant, « qu’il n’y a pas une partie de notre être, pas un petit vaisseau qui ne reçoive une ondée de sang dans la circonvolution d’un bon éclat de rire. Le principe de la vie va renouveler ainsi toute notre chair ; la circulation plus rapide impressionne tous les organes. Rire, c’est donc allonger notre existence en accordant ce stimulant à notre activité générale. » On voit que le journal savant, comme si souvent il arrive, est absolument d’accord avec la sagesse populaire qui depuis si longtemps a dit que rire, c’était se faire une pinte de bon sang. Aristote et Sarcey — Francisque Sarcey (1827-1899), critique dramatique et journaliste — étaient du reste tout à fait dans le même sentiment, et Aristote recommandait la terpsis(gaieté), comme le fondement de la sagesse, et Sarcey répétait à tue-tête : « Soyez gais ! Par la sambleu ! Soyez gais ! C’est la solution », tout semblable à un médecin qui dirait à un malade : « Parbleu ! Soyez bien portant ! C’est le vrai remède ! Pourquoi tant chercher ? » Voilà qui vaut fait et je veux bien rire, écrit notre académicien. Mais encore faut-il en avoir l’occasion, et c’est sur cela qu’il faut s’entendre. Je dis qu’il faut s’entendre à cause de ceci. Ne faut-il pas d’abord mettre hors de la question, et c’est-à-dire en dehors du rire hygiénique, ce rire particulier qui est excité par la vue de la sottise humaine ? Si ce rire là était hygiénique, plus nous ririons, plus nous aurions d’admirables chances de nous bien porter. Les ridicules, les hommes qui « apprêtent à rire », comme disaient si joliment nos ancêtres, abondent de plus en plus et semblent se multiplier comme pains et poissons. Individuellement même ils deviennent plus beaux, plus copieux, plus magnifiques, plus féconds en rires homériques pour ceux qui les contemplent et les écoutent. Mais est-ce ce rire-là qui est bien sain ? s’interroge Faguet. C’est le rire sardonique ; c’est le rire mêlé de malice ; c’est le rire où il entre une dose assez considérable de méchanceté, et de dédain, et de mépris, toutes choses que je m’étonnerais qui entretinssent abondamment la santé. C’est le rire de Démocrite, de qui dit Juvénal qu’il ne pouvait mettre le pied hors de sa maison et faire un pas sans éclater de rire : Ridebat quoties de limine moverat unum Protuleratque pedem et de qui dit Montaigne : « J’aime mieux cette humeur que celle d’Héraclite, non parce qu’il est plus plaisant de rire que de pleurer, mais parce qu’elle est plus dédaigneuse et qu’elle nous condamne plus que l’autre, et il me semble que nous ne pouvons jamais être assez méprisé selon notre mérite. » Oh ! oh ! s’il en est ainsi, je crois, à la vérité, qu’au temps où nous vivons nous pouvons rire « tout notre saoul », et du soir au matin, et dès que nous mettons le nez hors de notre porte, et même, entre nous, sans prendre la peine de sortir, poursuit l’académicien. Mais d’un rire qui dédaigne, et qui méprise, et qui condamne, que voulez-vous bien qui s’ensuive en fait de bonne santé et de pureté de sang ?