La rétro des présidentielles....................
La campagne de 2017 ne cesse d'étonner par ses multiples rebondissements. Mais, depuis le début de la Ve République, le scrutin présidentiel a presque toujours été marqué par l'inattendu. “Troisième homme”, “remontée fulgurante” émaillent cette élection, surprenante par essence.
La campagne présidentielle de 2017 est celle de toutes les surprises. On n'avait jamais vu auparavant le président de la République en exercice et son prédécesseur éliminés avant même le début de la campagne de premier tour. On n'avait jamais vu deux primaires, à droite comme à gauche, remportées haut la main par le « troisième homme », d'un côté François Fillon, de l'autre Benoît Hamon. On n'avait jamais vu la candidate de l'extrême droite en tête des intentions de vote pour le premier tour, talonnée par un homme politique se disant « de droite et de gauche », n'appartenant à aucun parti, n'ayant jamais été élu, à la tête d'un mouvement politique apparu il y a quelques mois. Et que dire du penelopegate, le feuilleton à rebondissements qui a percuté la campagne comme jamais aucune « affaire » ou aucun « scandale » auparavant ? Ou de la poussée spectaculaire à quelques semaines du premier tour du candidat de La France insoumise, cheval de retour du Parti socialiste faisant revivre à mi-chemin de Victor Hugo et de Beppe Grillo les grandes heures de la gauche protestataire des années 70 ? C'est de l'inédit, du spectaculaire, du coup d'éclat permanent, à l'image d'une société du zapping permanent qui se confronte à la faillite d'un système politique moribond. Mais, si l'on considère avec un peu de recul l'histoire de nos élections présidentielles, on s'aperçoit que les surprises n'ont jamais manqué.
Le ballottage du général de Gaulle
Fort de son image de patriarche et de héros national, le général de Gaulle pensait gagner haut la main sa réélection présidentielle en décembre 1965. Mais il se vit poussé au ballottage par le candidat de la gauche, François Mitterrand. La candidature même de ce dernier, qui avait dénoncé un an plus tôt le régime présidentiel dans le Coup d'Etat permanent, et qui représentait les grands partis de la gauche, la SFIO et le Parti communiste, sans en être membre, était inattendue. Pourtant, celui que le Général surnommait avec mépris « le Rastignac de la Nièvre » obtint plus de 31 % des suffrages le 5 décembre 1965, contraignant le Général à un second tour, scénario qu'il n'avait pas imaginé dans ses pires cauchemars. La situation s'avérait d'autant plus délicate que pouvaient s'ajouter aux voix de la gauche celles d'un autre candidat antigaulliste tout aussi surprenant, le jeune sénateur centriste Jean Lecanuet, candidat de La France en marche, et qui avait atteint 15,7 % au premier tour. Le réflexe légitimiste ayant joué à plein entre les deux tours, le général de Gaulle fut facilement réélu le 19 décembre 1965 avec 55,2 % des suffrages. Mais l'énorme surprise de sa mise en ballottage en annonçait deux autres : celle de la révolte de Mai 68, qui marquait la fin symbolique du gaullisme, puis son échec au référendum du 27 avril 1969, qui le poussa vers la sortie.
“Bonnet blanc et blanc bonnet”
On ne peut pas dire que la victoire de Georges Pompidou au second tour du 15 juin 1969 fut une autre surprise. En revanche, on ne s'attendait pas à une telle déroute du candidat socialiste Gaston Defferre, député-maire de Marseille, qui bénéficiait du soutien prestigieux de Pierre Mendès France, icône de la gauche. Mais la SFIO de Guy Mollet avait atteint son point de non-retour, et les maigres 5,07 % glanés par Defferre au premier tour du 1er juin 1969 reflétaient la décomposition d'une famille politique en plein désarroi. Face à lui s'étaient dressés deux candidats inattendus : Michel Rocard, sous les couleurs du PSU, et le trotskiste Alain Krivine, tous deux issus de l'effervescence soixante-huitarde. Mais surtout il s'était heurté à la citadelle communiste encore imprenable, gardée par le vieux résistant Jacques Duclos. Et c'est à ce dernier que revint le privilège d'arbitrer le duel du second tour entre Georges Pompidou et un autre candidat que l'on n'attendait pas en si belle posture, le centriste Alain Poher. Le peu charismatique président du Sénat se qualifia en effet avec 23,42 % des voix, soit beaucoup mieux que le sémillant Lecanuet quatre ans plus tôt. Mais on ne fut pas vraiment étonné d'entendre Jacques Duclos conseiller à ses électeurs de ne pas choisir entre « bonnet blanc et blanc bonnet », ce qui permit à Pompidou de l'emporter haut la main avec 57,58 % des suffrages.
Giscard, l'outsider
Le 4 avril 1974, Jacques Chaban-Delmas se déclara candidat à la succession de celui qui l'avait choisi comme Premier ministre, de 1969 à 1972. Certains gaullistes lui reprochèrent d'avoir déclaré sa candidature le jour même de l'inhumation du président Pompidou. Les mêmes, emmenés par le jeune espoir pompidolien Jacques Chirac, créèrent la première surprise de la campagne électorale, le 13 avril, en lançant un appel, signé par 39 députés et quatre ministres, en faveur de Valéry Giscard d'Estaing, qui se présentait au nom des centristes contre Chaban-Delmas. Cette « trahison » chiraquienne, orchestrée par ses âmes damnées Pierre Juillet et Marie-France Garaud, fut décisive. Et c'est ainsi que Chaban-Delmas, grand favori quelques mois plus tôt, fut écarté du second tour, avec seulement 15,1 % des suffrages, contre 32,6 % à Giscard, tandis que François Mitterrand, candidat de l'Union de la gauche, caracolait en tête avec 43,2 %. Ce dernier fut à son tour victime de l'effet Giscard, qui lui rappela qu'« [il n'avait] pas le monopole du cœur » lors du débat télévisé du 10 mai 1974, ce qui lui permit de l'emporter d'une courte tête au soir du second tour, avec 50,8 % des suffrages.
Mitterrand, la rose au poing
Sept ans plus tard, ce fut au tour de François Mitterrand de créer la surprise de la présidentielle. D'abord, en imposant sa candidature le 8 novembre 1980, alors que son adversaire Michel Rocard, favori des militants socialistes, s'était déclaré trois semaines plus tôt. Puis, en remontant le handicap que les sondages lui attribuaient par rapport à Valéry Giscard d'Estaing. En dépit de son bilan plus que mitigé, le président sortant, arrivé en tête du premier tour avec 22,5 % des voix contre 20,6 % au candidat socialiste, était persuadé d'être réélu. Il est vrai que le comportement de Jacques Chirac, troisième homme de l'élection, appelant du bout des lèvres à voter pour le chef de l'Etat au second tour, détourna de Giscard bon nombre d'électeurs gaullistes. Par ailleurs, la dynamique électorale était du côté de François Mitterrand, vainqueur de la joute télévisée d'entre les deux tours avec sa formule sur « le président du passif ». Mais sa victoire du 10 mai 1981, avec 51,76 %, fut néanmoins une surprise pour nombre d'observateurs qui ne croyaient pas à l'alternance, et un électrochoc pour le monde entier.
Plus tranquille fut la réélection de « Tonton », face à son Premier ministre de cohabitation, Jacques Chirac. Seule l'élimination au premier tour du candidat centriste Raymond Barre, dont la cote de confiance était au zénith, marqua la campagne. A l'instar de Michel Rocard, qui lui aussi caracolait dans les sondages de popularité, l'ancien Premier ministre de Giscard ne sut pas franchir le seuil de la présidentialité pour s'imposer comme un candidat crédible face aux experts de la cuisine électorale. Et c'est ainsi qu'il laissa face à face le chef de l'Etat et le chef du gouvernement dans un duel dont le premier sortit aisément vainqueur, le 8 mai 1988, avec 54 % des suffrages.
Chirac, par choix et par dépit
En 1994, pendant des mois, les deux grands favoris des sondages étaient l'ancien ministre socialiste Jacques Delors et le Premier ministre de cohabitation, Edouard Balladur. Mais contre toute attente, le 11 décembre 1994, le premier renonça, laissant la place à Lionel Jospin. Le second, qui s'était pourtant engagé à laisser la candidature à son « ami de trente ans » Jacques Chirac, décida de se présenter en janvier 1995, fort des sondages qui le donnaient alors largement favori devant son mentor. Mais ce dernier, qui s'était déclaré dès le 4 novembre 1994, entreprit alors une remontée électorale qui força l'admiration de tous, à commencer par le président sortant, François Mitterrand. Et c'est ainsi qu'après deux tentatives infructueuses, et à l'instar de François Mitterrand, celui que l'on donnait pour mort politiquement se retrouva à l'Elysée, au grand bonheur de Bernadette.
AU VU DE CES CINQUANTE ANS D'HISTOIRE POLITIQUE, ON CONSTATE QUE RIEN NE S'EST PASSÉ COMME ON L'AVAIT PRÉVU QUELQUES MOIS À L'AVANCE.
Le 21 avril 1997, Jacques Chirac saborda sa propre majorité parlementaire par une dissolution qui eut pour effet d'amener Lionel Jospin à la tête d'un gouvernement de cohabitation. Dès lors, on pensa que la campagne de 2002 se jouerait comme celle de 1988, entre les deux têtes de l'exécutif. C'était compter sans la dispersion des voix de gauche au premier tour.
Le 21 avril 2002, dans le contexte d'une campagne marquée par les thématiques sécuritaires, se produisit un séisme politique : Lionel Jospin fut écarté du second tour avec seulement 16,18 % des suffrages, derrière Jean-Marie Le Pen, que personne n'attendait, avec 16,86 %. Il y eut certes un réflexe de défense républicain qui permit à Jacques Chirac d'écraser Jean-Marie Le Pen au second tour du 5 mai 2002 avec 82,2 % des voix, mais le choc du 21 avril resta dans toutes les mémoires comme l'événement politique du siècle commençant.
Une rivale pour Sarkozy
La surprise de l'élection suivante ne vint pas de la candidature de Nicolas Sarkozy, investi par 98 % des militants de l'UMP en janvier 2007, mais de la gauche. Ségolène Royal, peu connue un an plus tôt, dama le pion des « éléphants » du Parti socialiste à l'occasion de la primaire interne organisée le 16 novembre 2006, avec 60,6 % des voix contre seulement 20,6 % pour Dominique Strauss-Kahn et 18,6 % pour Laurent Fabius. Mais, passé l'effet de surprise et l'intérêt pour sa « démocratie participative », les saillies de Ségolène sur la « bravitude » et « l 'ordre juste » ne suffirent pas à enrayer son érosion dans les sondages dans les premiers mois de 2007. En revanche, un troisième homme faillit bien créer la sensation de la campagne, en atteignant 23 % d'intentions de vote à quelques semaines du premier tour : François Bayrou, fort d'une stratégie de rassemblement gaullien totalement inédite dans l'histoire du centre, talonnait les candidats des deux grands partis de gouvernement. Il échoua finalement à quelques encablures du port, avec 18,57 % des voix contre 31,18 % à Nicolas Sarkozy et 25,87 % à Ségolène Royal.
En 2012, la campagne fut jalonnée de mauvaises surprises pour le président sortant, à commencer par l'arrestation de DSK le 14 mai 2011, suite à l'affaire du Sofitel de New York. A sa place, François Hollande sortit vainqueur de la primaire de la gauche, la première organisée auprès des sympathisants socialistes, les 9 et 16 octobre 2011. Empêtré dans son bilan et dans son image de président bling-bling, Nicolas Sarkoy faillit néanmoins remonter le lourd handicap que lui donnaient les sondages à la fin de l'année 2011. L'inflexion droitière et identitaire de sa campagne, sous l'influence de Patrick Buisson, lui permit de regagner une partie du terrain perdu, mais il fut cependant battu, comme c'était prévisible, avec 48,3 % des voix, le 6 mai 2012.
Au vu de ces cinquante ans d'histoire politique, on constate que rien ne s'est jamais passé comme on l'avait prévu quelques mois à l'avance. Il serait absurde d'en accuser les sondages, qui se contentent de donner des photographies de l'opinion. D'ailleurs, les dynamiques de campagne, indiquées par l'analyse de ces mêmes sondages, ne se sont jamais trompées. Si l'on excepte le premier tour du 21 avril 2002, qui s'est joué dans un mouchoir de poche, il n'y a jamais eu de surprise majeure dans les dernières semaines d'une élection. En sera-t-il de même dans la campagne actuelle, dont on peut dire qu'elle est celle de toutes les transgressions ? Ici s'arrête le travail de l'historien, et commence celui des astrologues.