44 HEURES CHRONO.
Il est des expériences qui sont révélatrices d'un des maux dont souffre notre société : la dictature de la bureaucratie des experts polis mais froids qui règnent dans tous les domaines de notre vie. L'hôpital livré aux mains du " système technicien" en est un exemple particulier.
Dès l'entrée à l'hôpital on "codebarrise" le futur " corps malade" et sans que l'on y prenne garde on met en veilleuse sa personnalité avec ses émotions, ses souffrances, ses interrogations et ses angoisses ; subrepticement on déconnecte la conscience du patient de son organisme. C'est l'objectivation de l'être Seul son corps intéresse alors le monde des actes médicaux, réalisés avec civilité par des mains expertes, suivant des protocoles bien établis et respectés à la lettre. C'est le bal des infirmières, chacune chargée d'un contrôle ou d'un acte : poids, tension, température, etc. ; on dirait la check-list que doit vérifier tout commandant de bord avant le départ d'un avion. C'est la ronde du personnel hôtelier de l'hôpital pour les sujets liés à l'intendance et à la distraction. Le temps s'écoule, l'acte chirurgical majeur approche, pas l'ombre d'un être humain, d'un chirurgien, d'un "vrai médecin " pour échanger sur le seul sujet qui angoisse : qui va réaliser l'acte opératoire ? Que va-t-on faire exactement ? Comment sera la douleur ? A quoi doit-on s'attendre après ?, etc.... Tout se passe comme si on allait être pris en charge par un robot, qui dans un programme séquentiel parfaitement maîtrisé exécutera l’opération. L'acte médical terminé, le corps du patient est conduit dans une grande salle d'éveil, en présence d'autres corps ; on plaisante au-dessus de leur tête, ils n'existent pas. Après avoir vérifié les paramètres attestant de la vitalité de l'ensemble de l'organisme, c'est le retour en chambre. A la fin du temps protocolaire, 44 heures chrono, et après une visite de courtoisie de l'opérateur assistant on est convié à rejoindre son domicile. On quitte la chambre sans savoir qui saluer et qui remercier, tant les acteurs furent nombreux et tant préoccupés qu'ils sont dans l’exécution de leur mission.
Peu à peu le corps se reconnecte avec l’être intime. A la maison, les inévitables douleurs et les petites complications apparaissent et les questions restent sans réponse. Seul le service des urgences, avec l'attente en prime, pourra alors venir à bout de l'in soutenabilité de la souffrance, si tant est que l'on puisse communiquer aisément, et avec précision, avec l'interne de garde fraichement arrivé(e) d'un pays étranger et à qui on n'a pas jugé utile d'apprendre toute les subtilités de notre langue. Sans rien connaître du patient, en silence, il va à nouveau mécaniquement dérouler son protocole pour ensuite tenter de répondre à la souffrance du malade.
Quelques fois un peu plus d'humanité dans nos services publics ne dérangerai pas forcement rappel de la définition humanité ...bonté, sensibilité, compassion....