«J'en peux plus!» Cette expression si familière que personne n'y prête attention est bien plus noble qu'il n'y paraît. Pensez: elle a cours en France depuis le 14e siècle. Au moment où la peste noire et la Guerre de Cent ans ravageaient la France, on disait déjà «n'en plus pouvoir». Au siècle précédent, au temps de Philippe Auguste et de saint Louis, on était déjà «mal en point»: on l'est encore, huit cents ans après.
Voilà ce qu'on apprend en picorant dans le Bouquet des expressions imagées, un gros volume de 1700 pages où sont rassemblées les milliers de locutions qui émaillent ou ont émaillé le langage courant des Français, chez les bourgeois et dans le peuple, à la cour, aux champs et à l'usine. Pour mener à bien ce travail encyclopédique, les auteurs - Claude Duneton pour la première édition de 1990, Sylvie Claval pour cette version revue et augmentée - ont épluché des dizaines de dictionnaires et de récits littéraires ou populaires. Puis ils ont classé méticuleusement leur faramineuse cueillette: l'index final fait 450 pages. J’y ai picoré quelques expressions que voici:
● Pretantan, pretentaine
Il y a des formules qui meurent, dérivent où se transforment. En 1842, apparaît l'expression « aller par quatre chemins » qui évoque quelqu'un qui marche ou parle sans savoir où il va. Elle n'est plus usitée que sous sa forme négative - «ne pas aller par quatre chemins ».
En 1642, on disait d'un homme qui allait et venait sans but ni raison qu'il « courait la prétentaine ». Utilisée au sujet d'une femme, l'expression prenait un sens figuré, signifiant que la personne du sexe se livrait à un vagabondage interdit par la bienséance et donc suspect de libertinage ! Le mot prétentaine ne nous est plus familier, et pour cause, il évoque un bruit qu'on n'entend plus au 21e siècle. Ménage expliquait dans son dictionnaire que c'est « une onomatopée du bruit que font les chevaux en galopant : pretantan, pretantan, pretantaine ».
● Sainte Geneviève et saint Marceau
L'amitié a inspiré de belles métaphores populaires. Au 17e, on disait de deux amis qu'ils étaient «comme les deux doigts de la main» ou «comme sainte Geneviève et saint Marceau». Au 18e, on est «amis comme cochons». Au 19e, on a «des atomes crochus avec quelqu'un» ; on est aussi «à tu et à toi» ou encore «cul et chemise».