La Protection des personnalités :
"Une enquête sur les abus du système"
Comment un ministre sait-il qu'il a quitté le gouvernement ? « C'est s'asseoir à l'arrière d'une voiture et s'apercevoir qu'elle ne démarre pas. » Ce trait d'esprit a valu à l'ex-député UMP François Goulard le prix de l'humour politique.
La voiture de Richard Ferrand, elle, démarre au quart de tour avec un garde du corps au volant. Après avoir quitté son portefeuille en juin dernier, l'ex-ministre de la Cohésion des territoires, aujourd'hui président du groupe des députés LREM, aurait dû pourtant se séparer de son officier de sécurité. Dans son entourage, on précise que la berline appartient à l'Assemblée et que la protection se justifie par des « menaces écrites, verbales et physiques ». Lesquelles ? Richard Ferrand n'en dira rien « pour ne pas exposer sa famille ».
En 2010 déjà, un rapport cinglant de la Cour des comptes dénonçait la « difficulté de démanteler les équipes constituées auprès de ces personnalités lorsqu'il est mis fin à leurs fonctions institutionnelles ». Dans le jargon policier, on parle de « protection de confort », qui permet avant tout de bénéficier d'un chauffeur 24 heures sur 24. Place Beauvau, on justifie cependant la situation de Richard Ferrand, expliquant vouloir « prolonger encore un temps la période d'évaluation ».
Un cercle vertueux enclenché avec Macron ?
Le pouvoir d'octroyer ou de retirer des officiers de sécurité revient au ministère de l'Intérieur. Si les règles d'attribution sont claires, les usages sont plus flous et doivent parfois beaucoup à l'entregent d'une personnalité. La Direction générale de la police cherche désormais à se désengager de ces fameuses missions de confort, évaluées à 10 % du total des personnalités protégées (environ 120 actuellement hors Elysée), pour les réaffecter au gré des impératifs antiterroristes imposés par l'actualité. D'autant que le service se trouve en surchauffe. « Multiplication par deux des heures supplémentaires l'année dernière, amplitude horaire, fatigue généralisée : ce service sensible attire de moins en moins les collègues », prévient Frédéric Lagache, secrétaire général adjoint du syndicat Alliance.
Depuis l'élection d'Emmanuel Macron, cependant, les choses bougent. A l'exception de Richard Ferrand, le cercle vertueux semble enclenché. L'été dernier, trois barons socialistes se sont vu retirer leurs anges gardiens, ce qui a suscité chez eux des réactions oscillant entre le calme plat et la tempête tropicale. « Il faut poursuivre cet effort pour que l'octroi d'une protection soit fondé sur une réelle évaluation du risque », résume-t-on Place Beauvau.
Un texte toujours dans les cartons
Car la protection n'a pas de prix mais un coût : très précisément 71 879 € par an et par fonctionnaire selon le fameux rapport de la Cour des comptes. A raison de quatre policiers par ancien Premier ministre et ministre de l'Intérieur, protégés jusqu'à la mort, et l'espérance de vie augmentant, la facture grimpe vite. Pour l'heure, seul Philippe Marchand, hôte de Beauvau entre 1991 et 1992, aurait décidé de renoncer de lui-même à ce privilège républicain.
Depuis plusieurs années, le SDLP milite pour de nouvelles règles plus contraignantes sur la base d'un texte réglementaire. La protection sans limitation de durée des anciens chefs de l'Etat serait préservée. Mais celle des ex-Premiers ministres et ministres de l'Intérieur serait désormais limitée à cinq ans, sous réserve qu'ils aient exercé leurs fonctions pendant au moins six mois. Ce texte, le gouvernement avait envisagé de le dégainer à l'occasion de la loi sur la moralisation de la vie publique. Il dort toujours dans les cartons.
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